J’ai lu avec intérêt l’article du chroniqueur de La Presse Francis Vailles sur les comparaisons salariales entre les secteurs public et privé, s’appuyant sur une étude de l’Institut statistique du Québec (ISQ). Cette étude relevait que les employés du secteur public gagnent 7 % moins que leurs homologues du secteur privé. Vailles affirme que certains lecteurs ont mal interprété cette comparaison, croyant à tort que l’effet du régime de retraite des employés de l’État n’était pas pris en compte, alors que selon lui, il l’était. Cependant, comme je vais l’expliquer, l’étude de l’ISQ ne fournit pas une évaluation exhaustive de la valeur du régime de retraite. En réalité, les lecteurs ayant douté de l’inclusion complète de l’effet du régime de retraite dans l’analyse avaient partiellement raison, puisqu’on doit tenir compte de la nature sûre des prestations déterminées des régimes de retraite ainsi que de leur fiscalité avantageuse.
Le financement des régimes de retraite se divise en deux parties : la contribution de l’employeur, non incluse dans le salaire mais prise en compte dans la rémunération globale estimée par l’ISQ, et celle des employés, prélevée sur leur salaire. Vailles suggère que les principales différences entre un régime de retraite et un RÉER individuel résident dans le fait que la part de l’employeur (environ 7 %) n’est pas directement visible et dans le caractère obligatoire de l’épargne pour les employés. Il argumente que les travailleurs du privé devraient épargner une part similaire de leur salaire dans un REER (12 à 18 %), ce qu’ils ne font souvent pas, « préférant dépenser l’argent pour vivre le moment présent. »
Cependant, cette comparaison omet deux facteurs clés. Premièrement, elle ne considère pas que les régimes de retraite à prestations déterminées garantissent des revenus fixes à chaque employé, alors que les taux de cotisation des employeurs et des employés sont calculés avec des taux de rendement se rattachant à des placements à risque, tels que des actions. Les taux de rendement des placements à revenus fixes (tels que les obligations) sont toujours plus bas que ceux des placements à risque, même à long terme. Pour une comparaison juste, il faut évaluer les avantages réels tirés du régime par chaque individu, c’est-à-dire des revenus fixes, ce que les calculs basés uniquement sur les cotisations de l’employeur, comme ceux de l’ISQ, ne reflètent pas.
Autrement dit, pour obtenir des revenus de retraite aussi stables que ceux d’un employé de l’État, un travailleur du privé devra épargner bien plus que les 12 à 18 % mentionnés par Vailles. De plus, ce montant plus élevé sera soumis à une imposition plus importante. Par exemple, en 2017, les règles fiscales canadiennes permettaient aux employés de l’État d’accumuler un maximum de 2 914 $ de prestations déterminées, alors qu’un travailleur avec un simple RÉER pouvait y contribuer jusqu’à 26 010 $. Cependant, ce ratio, fixé dans les années 80, ne correspond plus à la réalité économique actuelle. Pour se bâtir un revenu fixe de 2 914 $ en achetant des obligations gouvernementales, le travailleur avec un RÉER devra économiser bien plus que 26 010 $; en fait, il devra économiser plus du double, selon une étude de l’Institut CD Howe. Le hic, c’est que le travailleur du privé, ayant atteint la limite de contribution au RÉER, devra économiser la différence dans un compte non enregistré, sans bénéficier du report d’impôt qui est permis dans un régime de retraite ou un RÉER.
En conclusion, il est inexact de prétendre que la valeur d’un régime de retraite à prestations déterminées se limite aux contributions des employeurs et des employés, ou qu’un travailleur sans tel régime peut en créer un équivalent en économisant ces contributions dans un RÉER. La nature fixe et déterminée des prestations et les avantages fiscaux associés rendent cette comparaison inadéquate. Ces faits confirment l’idée, répandue chez les non-experts, que les régimes de retraite des employés de l’État ont une valeur significative.